Le Département de la Justice des États-Unis a récemment mis à jour son Évaluation des Programmes de Conformité des Entreprises dans le cadre des Enquêtes Antitrust Criminelles (Guide de Conformité). Cette nouvelle version conserve en grande partie l’approche de la première édition, publiée sous la présidence de Donald Trump, en maintenant la même structure analytique et les mêmes trois questions préliminaires ainsi que les neuf facteurs à prendre en compte. Plusieurs ajouts notables mettent toutefois l’accent sur certaines préoccupations, notamment (i) les communications électroniques et les messages éphémères, (ii) l’intelligence artificielle et la tarification algorithmique, (iii) le signalement par les employés et les accords de non-divulgation, (iv) les enquêtes civiles et (v) la conformité multi-juridictionnelle. Dans cet article, nous proposons un aperçu du Guide de Conformité ainsi que des points clés tirés des dernières modifications, y compris des réflexions pour mettre à jour les programmes de conformité des entreprises.

Présentation de l’Approche de la Division Antitrust en Matière de Conformité des Entreprises

Le Guide de Conformité est un document non contraignant utilisé par les procureurs pour évaluer l’impact du programme de conformité antitrust d’une entreprise sur leurs décisions de poursuite et sur les recommandations de peine. Ce n’est pas une réglementation, il n’impose donc aucune obligation légale, mais il sert de feuille de route sur la manière dont la Division Antitrust évalue et crédite les programmes de conformité des entreprises. Avant la publication initiale du guide en 2019, la Division Antitrust ne reconnaissait pas généralement les programmes de conformité lors de la décision de poursuite, considérant qu’un programme efficace aurait dû prévenir la mauvaise conduite ou qualifier l’entreprise pour bénéficier de la Politique de Clémence de l’Agence, évitant ainsi les poursuites. Le guide de 2019 a marqué une réévaluation de cette position et a reconnu la valeur d’un programme de conformité antitrust efficace ou amélioré, même si un employé a commis une faute.

Le Guide de Conformité mis à jour demande aux procureurs d’évaluer le programme de conformité d’une entreprise tel qu’il existait au moment de l’infraction, ainsi que toutes les améliorations ultérieures, et de prendre en compte l’adéquation et l’efficacité du programme aux stades de la poursuite et de la peine. Le simple fait d’avoir un programme de conformité antitrust, même jugé adéquat et efficace, ne suffira pas à protéger une entreprise d’une accusation si ses employés ont commis une infraction sérieuse et prolongée sans bénéficier de la protection offerte par le Programme de Clémence. Cependant, les efforts de conformité de l’entreprise peuvent jouer un rôle crucial dans la tentative de la société et de son avocat de convaincre la Division Antitrust d’accepter un accord de poursuite différée (DPA). En vertu d’un DPA, l’entreprise est accusée du délit sous-jacent, mais la poursuite est suspendue et l’accusation est finalement classée si l’entreprise respecte les conditions du DPA. Par ailleurs, au stade de la peine, les efforts de conformité peuvent aider à convaincre la Division Antitrust de recommander une amende pénale réduite ou de s’opposer à des obligations de rapport imposées par le tribunal ou à un contrôleur de conformité indépendant.

La Division Antitrust débute son évaluation avec trois questions préliminaires, qui devraient orienter la conception et la mise en œuvre d’un programme de conformité efficace.

1. Le programme de conformité traite-t-il et interdit-il les violations criminelles de l’antitrust ?

Le Guide de Conformité définit les violations concernées comme « des violations criminelles de la loi Sherman, 15 U.S.C. § 1 et seq., telles que la fixation des prix (y compris la fixation des salaires et les conspirations pour falsifier d’autres modalités de concurrence en matière de prix), le trucage d’offres, l’attribution de marchés et la monopolisation, ainsi que les actes obstructifs mettant en péril l’intégrité des enquêtes antitrust. »

2. Le programme de conformité a-t-il détecté la violation et facilité un signalement rapide ?

Cette question permet d’évaluer l’efficacité du programme de conformité et la réaction de l’entreprise lorsqu’elle a découvert la mauvaise conduite.

3. Dans quelle mesure la haute direction de l’entreprise est-elle impliquée dans la violation ?

Du point de vue du DOJ, l’implication de la haute direction dans la violation indique que le leadership de l’entreprise n’a pas su instaurer un climat et une culture favorables à la conformité antitrust, ce qui suggère que le programme de conformité n’était pas efficace au moment de l’infraction. En revanche, l’entreprise a l’opportunité de redéfinir ces éléments et de renforcer son engagement envers la conformité antitrust en améliorant son programme de conformité et en incitant à un comportement légal, notamment en sanctionnant ou en écartant les responsables et les employés impliqués et en récupérant toute prime perçue.

Au-delà de ces trois questions principales, le Guide de Conformité oblige également les procureurs à évaluer si un programme de conformité est effectivement mis en œuvre ou s’il s’agit simplement d’un « programme sur papier ». Le guide énonce neuf facteurs supplémentaires pertinents pour l’évaluation des programmes de conformité, tout en reconnaissant que chaque facteur ne sera pas pertinent dans chaque cas, et que les programmes de conformité varient en termes de ressources et de conception selon la taille de l’entreprise et les risques antitrust propres à chaque secteur d’activité. Les neuf facteurs à considérer sont :

  • La conception et l’exhaustivité du programme.
  • La culture de conformité au sein de l’entreprise.
  • La responsabilité et les ressources consacrées à la conformité antitrust.
  • Les méthodes d’évaluation des risques antitrust.
  • La formation à la conformité et la communication auprès des employés.
  • Les techniques de suivi et d’audit, y compris l’examen continu, l’évaluation et la révision du programme de conformité antitrust.
  • Mécanismes de signalement.
  • Incitations et discipline en matière de conformité.
  • Méthodes de remédiation.

Nouveaux Apports au Guide de Conformité et Points à Retenir

Communications Électroniques et Messages Éphémères

Les nouvelles ajouts au Guide de Conformité incluent des dispositions relatives aux communications électroniques et aux messages éphémères. Ces ajouts reflètent l’inquiétude de la Division Antitrust concernant le risque que la fixation des prix et d’autres comportements anticoncurrentiels soient facilités par des systèmes de messagerie éphémère qui laissent peu de traces. Le guide guide désormais les procureurs à enquêter sur les canaux de communication électroniques utilisés par une entreprise et sur les mécanismes en place pour gérer et conserver les informations dans ces canaux. Selon les nouvelles directives, les procureurs doivent évaluer si l’entreprise dispose de « lignes directrices claires concernant l’utilisation de messages éphémères ou de méthodes de communication non liées à l’entreprise », quelles sont les « options de conservation ou de suppression » et quelle justification l’entreprise donne pour ces paramètres.

En réponse à ces ajouts, les entreprises devraient envisager de revoir et potentiellement mettre à jour leurs politiques concernant les communications électroniques et les messages éphémères afin de clarifier quels canaux de communication les employés peuvent utiliser pour les affaires de l’entreprise (y compris l’utilisation de dispositifs et systèmes non liés à l’entreprise). Les entreprises devraient également examiner leurs pratiques de conservation à travers l’ensemble des canaux de communication et documenter la justification de ces pratiques, y compris tout paramètre de suppression automatique ou protocole.

Intelligence Artificielle et Tarification Algorithmique

Les ajouts au guide mettent également en lumière la façon dont les entreprises réalisent une évaluation des risques et assurent leur conformité face à l’utilisation de technologies, en insistant notamment sur l’intelligence artificielle et les logiciels de gestion des revenus par algorithmes. Le Guide de Conformité demande désormais aux procureurs de prendre en compte le rôle que jouent les personnels de conformité ou les organismes de conformité dans l’évaluation des risques liés au déploiement de l’IA ou d’autres technologies, ainsi que si ces autorités de conformité comprennent ces technologies et quelles mesures d’atténuation des risques les entreprises mettent en œuvre dans leur utilisation. Le guide interroge également sur la rapidité avec laquelle une entreprise peut détecter et corriger les décisions prises par des technologies telles que l’IA qui ne correspondent pas à ses valeurs.

Bien que l’utilisation de technologies telles que l’IA et des outils ou services de tarification algorithmique puisse rendre les entreprises plus efficaces et compétitives, celles-ci doivent garder à l’esprit que la Division Antitrust et la Commission Fédérale du Commerce s’intéressent de près à toute potentielle nature anticoncurrentielle de ces nouvelles technologies. Ainsi, dans le cadre de leurs efforts de conformité, les entreprises devraient envisager de mettre en œuvre un processus pour évaluer le risque antitrust et les mesures potentielles de mitigation liés à ces technologies.

Signalement par les Employés et Accords de Non-Divulgation

La mise à jour du Guide de Conformité souligne également des inquiétudes quant au fait que les employés peuvent être réticents à signaler des violations potentielles de l’antitrust, souvent par crainte de représailles ou à cause des accords de non-divulgation (NDA). Les nouvelles directives demandent aux procureurs de s’informer sur les « mécanismes » qu’une entreprise a mis en place pour permettre aux employés de signaler ou de demander des conseils concernant des comportements criminels potentiels sans craindre de représailles. Le guide s’interroge également sur l’utilisation et l’application des NDA, se demandant s’ils sont « utilisés ou appliqués de telle manière qu’ils découragent les lanceurs d’alerte ou contreviennent à » la loi CAARA de 2020, conçue pour protéger les employés contre des actions négatives pour motif de signalement. Ces mises à jour représentent une occasion pour les entreprises de créer ou de revoir des politiques concernant le signalement des employés, l’anti-représailles et les NDA.

Enquêtes Antitrust Civiles

Le Guide de Conformité inclut une nouvelle disposition qui étend les principes de base du guide, qui est principalement axé sur les violations criminelles, aux enquêtes antitrust civiles. Il est désormais précisé que lorsque les entreprises demandent à la Division Antitrust de « prendre en compte les efforts de conformité existants ou améliorés » dans le cadre de la résolution d’enquêtes civiles, la Division Antitrust « considérera de nombreux facteurs » énoncés dans le guide pour les enquêtes criminelles.

Conformité Multi-Juridictionnelle

Enfin, une nouvelle disposition souligne que les programmes de conformité d’une entreprise multinationale doivent tenir compte des normes variables imposées par les différentes juridictions dans lesquelles elle opère. L’instruction stipule que lorsque les procureurs évaluent la conception d’un programme de conformité, ils « devraient être conscients que le programme peut refléter des efforts pour répondre à des normes dans plusieurs domaines de la loi et des juridictions ». Ainsi, les conseils juridiques doivent faire en sorte que les procureurs comprennent non seulement pourquoi une entreprise a conçu un programme pour se conformer à des normes antitrust variées à travers le monde, mais aussi pourquoi les normes de confidentialité et d’emploi dans certaines juridictions peuvent limiter l’entreprise quant aux actions qu’elle peut entreprendre dans le cadre de ses efforts de conformité.

Points à retenir

  • La Division Antitrust insiste sur la nécessité pour les entreprises de maintenir des programmes de conformité antitrust robustes.
  • Les mises à jour du guide incluent une attention accrue sur l’intelligence artificielle et son impact potentiel sur le comportement anticoncurrentiel.
  • Les entreprises doivent se pencher sur leurs mécanismes de signalement interne pour protéger les lanceurs d’alerte.
  • Les juristes sont appelés à adapter les programmes de conformité en tenant compte des législations et normes variées à l’échelle mondiale.

La mise à jour du Guide de Conformité par la Division Antitrust souligne l’évolution des attentes en matière de compliance dans un monde où la technologie et les modes de communication rapide influencent la dynamique commerciale. Il est essentiel pour les entreprises de rester proactives face à ces défis, non seulement pour se conformer à la loi, mais aussi pour encourager une culture de responsabilité et d’intégrité. Comment ces changements affecteront-ils l’industrie dans son ensemble et quelles mesures les entreprises devront-elles prendre pour s’adapter à ce nouvel environnement ?



  • Source image(s) : www.jdsupra.com
  • Source : https://www.jdsupra.com/legalnews/antitrust-division-updates-its-7761505/


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