KATHMANDU, NÉPAL — En se faisant arrêter, Kushal Karki a simplement déclaré qu’il n’était pas un criminel. Selon lui, il critique le gouvernement, mais est-ce réellement un délit ?
Ce père de famille et employé de restaurant était en train de préparer des raviolis à la vapeur lorsqu’il a été abordé par deux inconnus qui l’ont conduit au Bureau Cybernétique de la police népalaise. Ils lui ont assuré qu’il s’agissait d’un incident mineur.
« Ils ont affirmé que c’était une affaire ordinaire et que je pourrais revenir rapidement », raconte Karki.
Cependant, une fois arrivé au Cyber Bureau, son téléphone a été confisqué, un mandat d’arrêt émis, et il a été emprisonné pendant 10 jours. Il a été accusé en vertu de la Loi sur les Transactions Électroniques de 2006 pour « diffusion de fausses informations sur des personnes respectables ». Son méfait ? Avoir publié sur Facebook une vidéo montrant un groupe de jeunes scandant des slogans contre le Premier ministre KP Sharma Oli et son partenaire de coalition, le ministre des Affaires étrangères Sher Bahadur Deuba.
C’était le 5 septembre. À ce jour, il n’a toujours pas récupéré son téléphone.
Le compte Facebook de Karki compte plus de 77 000 abonnés, ce qu’il attribue à sa constante remise en question du gouvernement et à son soutien envers de nouveaux leaders, ce qui trouve un écho auprès des citoyens.
Pour son avocat, Ganesh Datt Devkota, cela ne justifie en aucun cas une accusation criminelle à l’encontre de Karki.
« Il n’est pas le créateur direct de la vidéo. Il ne l’a même pas réalisée lui-même », précise Devkota. « De nombreuses personnes ont aussi publié cette vidéo. »
Au Népal, des individus sont arrêtés et condamnés pour des crimes cybernétiques simplement en critiquant les politiciens sur les réseaux sociaux.
Selon le Cyber Bureau, 11 personnes ont été inculpées l’année dernière pour des publications anti-gouvernementales sur les réseaux sociaux dans le cadre de la même Loi sur les Transactions Électroniques, en plus de nombreux autres arrêtés sans être inculpés. Les comptes des personnes accusées montrent une opposition envers les partis établis et un soutien pour de nouvelles idées. Deux d’entre eux, dont Karki, avaient une importante audience, atteignant des dizaines de milliers de personnes.

Dans certains cas, le Cyber Bureau préfère retirer les contenus du web qui pourraient « provoquer des conflits sociaux », selon son porte-parole Deepak Raj Awasthi. Ce dernier précise que les plaintes pour critique politique sont néanmoins rares.
Le gouvernement népalais tend de plus en plus vers le totalitarisme, en dépit des protections constitutionnelles sur la liberté d’expression, explique Taranath Dahal, directeur exécutif de Freedom Forum, une ONG œuvrant pour la démocratisation des institutions.
« Quand un citoyen est opprimé, les voix de milliers d’autres sont réduites au silence », ajoute-t-il.
« Cela conduit des milliers de personnes à s’autocensurer, sapant ainsi la liberté d’expression », conclut-il.
La relation du Népal avec Internet est relativement récente. En 2004, seulement 0,4 % de la population y avait accès, alors qu’aujourd’hui près de la moitié des habitants sont connectés, dont 87,7 % utilisent les réseaux sociaux, Facebook étant le plus prisé.
Avec l’accroissement de l’utilisation d’Internet, l’expression politique en ligne s’est également intensifiée.
« Les citoyens s’expriment là où ils estiment être entendus, et les réseaux sociaux en font partie », remarque Tikaram Pokharel, porte-parole de la Commission nationale des droits de l’homme du Népal.
Cependant, cette liberté d’expression a conduit le gouvernement à renforcer son contrôle sur les espaces numériques.
En novembre 2023, le gouvernement a interdit TikTok juste avant un rassemblement organisé par le commerçant médical Durga Prasai, qui appelait à la restauration de la monarchie et à la déclaration du pays en tant que nation hindoue, tout en réclamant l’abolition du fédéralisme. Le gouvernement a justifié cette interdiction par l’impact jugé négatif de l’application sur l’harmonie sociale.

Cependant, le rassemblement s’est tout de même tenu, avec une participation d’environ 9 000 personnes, selon les rapports de police. Beaucoup estiment que l’interdiction visait à freiner les publications de Prasai sur les réseaux sociaux.
Ce même mois, le gouvernement a imposé aux entreprises de médias sociaux d’ouvrir des bureaux locaux et de se conformer à des directives visant à lutter contre la désinformation et le contenu nuisible. Un cadre réglementaire est jugé nécessaire pour protéger contre la désinformation et les discours de haine sur les plateformes sociales, affirme Gajendra Kumar Thakur, porte-parole du ministère de la Communication et de la Technologie de l’information.
L’interdiction de TikTok a été levée en août 2024, mais les directives restent en vigueur.
Selon Narayan Ghimire, avocat senior du Centre pour l’État de droit-Népal, le fait de poursuivre des individus en vertu de la Loi sur les Transactions Électroniques, plutôt que par des lois civiles comme la diffamation, montre un souhait du gouvernement de punir les gens. Cette loi criminalise certains discours avec une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Toutefois, sa formulation ambiguë permet une application sélective, souligne Ghimire.
Ces préoccupations sont fondées, selon Santosh Sigdel, directeur exécutif de Digital Rights Nepal, une ONG spécialisée dans les droits numériques.
« Les réseaux sociaux jouent également un rôle crucial dans la propagation de désinformation», ajoute-t-il. « C’est la plus grande menace pour la démocratie. »
Pourtant, les personnes arrêtées par le Cyber Bureau estiment que leurs actions ne constituent pas des crimes.
Quelques jours avant l’arrestation de Karki, Ramesh Bahadur Rawat, un employé hospitalier, a été détenu pour avoir partagé une photo sur Facebook qualifiant le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères de corrompus.
Arrêté à Barhabise, dans la province de Bagmati, il a été transféré à 90 kilomètres du Cyber Bureau à Katmandou à 2 heures du matin. Rawat a été accusé de « ternir la réputation de personnes honorables ». Il a été maintenu en détention pendant 18 jours et a été libéré après avoir versé une caution de 50 000 roupies népalaises (environ 372 dollars américains).
« J’avais peur d’être emprisonné pour une longue période », confie-t-il.

Points à retenir
- Kushal Karki a été incarcéré pendant 10 jours pour avoir partagé une vidéo critique à l’égard du gouvernement.
- Le Bureau Cybernétique népalais a intensifié ses actions contre les critiques des politiques sur les réseaux sociaux.
- Les lois en vigueur, ambiguës, permettent une application sélective contre des expressions d’opposition.
- La montée de la censure en ligne soulève des questions sur la liberté d’expression dans le pays.
- Le débat sur la gestion de l’information sur les réseaux sociaux est central dans le contexte démocratique au Népal.
Ce contexte pose une question cruciale : jusqu’où peut-on aller dans l’expression critique sans craindre des répercussions ? Le passage vers une société où la liberté d’expression est réprimée pourrait avoir des implications profondes non seulement pour la démocratie au Népal, mais aussi pour d’autres pays faisant face à des problématiques similaires.