Dans un monde captivé par le rythme incessant des avancées technologiques, une croyance tenace s’est malheureusement instaurée : celle selon laquelle les sciences naturelles, avec leur capacité à dominer et transformer le monde physique, seraient les seules garantes du progrès. Cette conviction, alimentée par l’instrumentalisme, célèbre l’efficacité, l’utilité et les résultats mesurables, reléguant ainsi des disciplines comme la littérature et les sciences humaines au second plan. Pourtant, cette vision, aussi puissante soit-elle, ne saisit pas toute l’étendue de l’expérience humaine. Les sciences naturelles peuvent offrir des réponses sur les mécanismes de l’univers, mais c’est à la littérature et aux sciences humaines que revient le rôle de donner un sens à notre place en son sein.
Le monde contemporain évolue à une vitesse époustouflante, propulsé par les découvertes scientifiques et les innovations technologiques. Cependant, cette accélération masque souvent le vide qu’elle entraîne — un vide de compréhension, d’éthique et de sens. Les sciences naturelles nous expliquent comment les choses fonctionnent, mais demeurent muettes sur leur signification. La littérature, par essence, brise ce silence en s’engageant avec les “pourquoi” de l’existence. Elle n’apporte pas de réponses définitives mais ouvre la voie à la réflexion, à l’ambiguïté et à l’exploration de l’expérience humaine dans toute sa complexité.
Réfléchissons à la notion d’« utilité ». L’éthique instrumentale qui imprègne notre mentalité moderne valorise ce qui est quantifiable, ce qui remplit une fonction immédiate. À l’inverse, la littérature prospère dans le domaine du « futile ». Un poème ne résout pas une équation mathématique ; un roman ne guérit pas une maladie. Pourtant, cette « inutilité » est précisément ce qui leur confère leur puissance. En lisant Tolstoï, Rumi ou Mirza Ghalib, nous ne sommes pas en train de réaliser une transaction mais de rencontrer l’ineffable. Ces œuvres nous plongent dans un dialogue avec notre vie intérieure, nous invitant à affronter les aspects intangibles de l’humanité : amour, désespoir, espoir et désir.
Les sciences humaines, telles que la philosophie, l’histoire et la sociologie, remettent également en question la vision technocratique du monde comme une simple collection de ressources à manipuler. Elles révèlent la complexité des significations, des cultures et des relations qui fonde notre existence. Sans ces perspectives, les technologies que nous vénérons deviennent des instruments d’aliénation. Un smartphone, par exemple, est un prodige d’ingéniosité scientifique, mais son ubiquité a engendré un isolement paradoxal. Les humains sont plus connectés que jamais mais aussi plus seuls, réduits à des profils, des algorithmes et des points de données. C’est la littérature, avec son accent sur la narration et l’unicité de l’individu, qui résiste à ce réductionnisme.
Les sciences naturelles sont indéniablement essentielles. Elles ont éliminé des maladies, prolongé la durée de vie et dévoilé des secrets du cosmos. Pourtant, leurs triomphes s’accompagnent souvent de conséquences inattendues : dégradation environnementale, dilemmes éthiques et perte d’émerveillement face à un savoir devenu marchand. Ici, la littérature et les sciences humaines jouent un rôle correctif. Elles nous rappellent que le progrès ne consiste pas uniquement à obtenir davantage, mais à être davantage — plus éthique, plus empathique, et plus en phase avec le mystère sacré de l’existence.
Cependant, les humanités ne se limitent pas à la critique. Elles offrent aussi des outils pour imaginer l’avenir. La littérature, par exemple, peut susciter un sentiment d’émerveillement et de révérence envers le monde naturel que les données scientifiques seules ne peuvent inspirer. Pensez aux œuvres de Dostoïevski, Tagore ou Gabriel Garcia Marquez : leurs écrits ne se contentent pas de décrire la nature, mais nous invitent à établir une relation intime avec elle. Cette relationalité constitue un rempart contre l’impulsion technocratique de domination et d’exploitation.
La philosophie, en tant que branche des sciences humaines, joue un rôle crucial ici. Elle pose des questions fondamentales sur la nature de la connaissance, de l’éthique et de l’existence, que les sciences naturelles prennent souvent pour acquises. La philosophie des sciences elle-même démontre comment les paradigmes scientifiques ne sont pas neutres, mais façonnés par des influences historiques, culturelles et même littéraires. Par exemple, le concept de changement de paradigme de Thomas Kuhn doit autant aux structures narratives de la littérature qu’à l’observation empirique.
Enfin, revenons à la question du sens. Les sciences naturelles peuvent éclairer le “quoi” et le “comment” de l’univers, mais c’est à la littérature et aux sciences humaines que revient la tâche de s’interroger sur le “qui” et le “pourquoi”. Qui sommes-nous dans le grand schéma des choses ? Pourquoi souffrons-nous ? Pourquoi créons-nous ? Ces questions ne peuvent être résolues dans un laboratoire, mais doivent être vécues, imaginées et réinventées à travers des histoires, des philosophies et des expériences humaines partagées.
En définitive, la relation entre la littérature, les sciences naturelles et les sciences humaines ne se situe pas dans un rapport de concurrence, mais dans la complémentarité. Les sciences naturelles fournissent les outils pour naviguer dans le monde physique, tandis que la littérature et les sciences humaines offrent la boussole pour explorer nos mondes intérieurs et sociaux. Ensemble, elles forment les deux piliers d’une civilisation véritablement humaine — une civilisation qui valorise à la fois la précision et la poésie, l’efficacité et l’empathie, la connaissance et la sagesse.
Favoriser l’une au détriment de l’autre serait méconnaître la condition humaine elle-même. La science et la technologie peuvent élargir les horizons du possible, mais c’est à la littérature et aux sciences humaines que nous devons notre compréhension des raisons pour lesquelles ces horizons comptent.
Notre Opinion Tech
À l’ère actuelle de la surconsommation d’informations, il est impératif de reconsidérer notre rapport à la connaissance et à la compréhension. Un alignement entre les apports des sciences naturelles et celles des humanités pourrait non seulement favoriser une approche plus holistique du savoir, mais aussi aider à façonner des sociétés plus équilibrées et résilientes. Nous devons encourager un dialogue perpétuel entre ces disciplines pour encourager des réflexions qui ne se limitent pas à l’efficacité, mais intègrent également des dimensions d’humanité essentielles.
Bon à savoir : L’interaction entre les sciences et les lettres n’est pas uniquement académique ; elle peut également enrichir nos vies personnelles et notre façon d’interagir avec le monde. Rechercher un équilibre entre ces domaines pourrait être la clé d’un développement durable, tant au niveau individuel que collectif.
Article original rédigé par : Subzar Ahmad.
- Source image(s) : countercurrents.org
- Source : https://countercurrents.org/2024/11/the-interplay-of-literature-natural-sciences-and-human-sciences-a-case-for-balance/