Le scandale d’espionnage olympique au sein de Canada Football révèle des années de tourments internes et de problèmes financiers au sein de cette organisation, critiquée pour son manque de transparence.
À travers près de 40 interviews avec des personnes liées à Canada Football, Radio-Canada a mis en lumière des luttes internes et des craintes de mauvaise gestion des fonds, dans un contexte où un accord avec un tiers a réduit la capacité de rentabilité de ses équipes.
Malgré les récents succès des équipes nationales masculine et féminine, Canada Football demeure embourbé dans le scandale.
Les entrevues avec des employés, des joueurs, des anciens joueurs, des dirigeants, des entraîneurs et des agents révèlent la même problématique : un manque de transparence, un usage douteux de fonds publics, une opacité financière, un mystérieux contrat avec une firme privée, des allégations de favoritisme, de l’espionnage à grande échelle et un environnement toxique.
« C’est un vrai nid de guêpes, tout le monde garde le silence », a déclaré un ancien cadre.
D’après les sources interrogées, il semble que, durant les deux dernières décennies, les dirigeants de Canada Football aient privilégié la loyauté envers les responsables de la fédération et leurs propres intérêts.
Un exemple frappant est l’accord négocié avec Canada Football Business (CSB), une firme privée, entré en vigueur en 2019. Cet accord a permis à Canada Football de céder les droits de diffusion des matchs de l’équipe nationale canadienne et d’autoriser CSB à négocier unilatéralement des accords de parrainage, empochant l’ensemble des revenus générés.
Canada Football n’a jamais révélé publiquement les détails de cet accord. Radio-Canada a obtenu des documents relatifs à l’accord, d’abord rapporté par TSN en 2022.
En contrepartie, Canada Football reçoit entre 3 et 3,5 millions de dollars par an, avec un supplément de 500 000 dollars durant les années 2024, 2025 et 2026, puisque le Canada accueillera la Coupe du Monde de la FIFA en 2026.
En parallèle, Canada Football dépense également 1 million de dollars par an pour soutenir la Canadian Premier League, nouvellement lancée, via CSB.
D’après des experts financiers, ce contrat est probablement extrêmement lucratif pour CSB, bien que les revenus de cette entreprise restent cachés. « Tous les accords de partenariat sont commercialement confidentiels », a affirmé CSB.
Les joueurs et les membres du conseil d’administration se sont tous deux exprimés en désaccord avec cet accord.
L’Association des joueurs de football canadiens, représentant l’équipe féminine, a déposé une poursuite de 40 millions de dollars contre 15 membres actuels et anciens du conseil d’administration de Canada Football, alléguant que l’accord avec CSB constitue de la « négligence et une violation de fiducie ».
Ce contrat semble avoir été principalement négocié par l’ancien président de Canada Football, Victor Montagliani, un homme d’affaires de Vancouver ayant gravi les échelons de Canada Football vers la présidence de la Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes (CONCACAF) et vice-présidence de la FIFA au cours des vingt dernières années.
Dans une publication sur X, anciennement Twitter, le 29 mars 2018, le fondateur de CSB, Scott Mitchell, a remercié Montagliani pour cet accord, le qualifiant de « créateur de cette opportunité ».
Cependant, les procès-verbaux des réunions du conseil à l’époque montrent que le conseil hésitait encore à aller de l’avant avec cet accord.
Un ancien membre du conseil présent à ces réunions a déclaré à Radio-Canada que plusieurs membres avaient exprimé leur désapprobation. « Nous étions quelques-uns à ne pas être à l’aise. Nous voulions plus d’informations. Plusieurs clauses n’étaient pas dans le meilleur intérêt de Canada Football. »
Les négociations de cet accord ont essentiellement été présentées au conseil comme un dû acquis, a ajouté ce membre. « Tout cela s’est fait derrière des portes closes », a-t-il souligné, louant les joueuses de football pour leur action en justice. « Si j’étais à leur place, je ferais probablement la même chose. »
Tentative de dissimuler des transactions commerciales
Lorsqu’un comité parlementaire a examiné les finances de Canada Football suite au scandale d’espionnage olympique, la fédération a tenté de faire détruire « toutes les copies » de son contrat avec CSB, selon une lettre envoyée au comité. Les membres du comité n’ont pas accepté cette condition.
« C’était complètement inacceptable et cela n’avait aucun sens », a déclaré Anthony Housefather, député libéral de Mont-Royal et membre du comité parlementaire.
Housefather, également avocat commercial, a dû demander à l’organisation de football de révéler ses états financiers, qu’elle n’avait pas communiqués depuis plusieurs années, malgré les subventions reçues des contribuables.
Une fois qu’il a pu se procurer le contrat avec CSB, il a averti que des alarmes s’étaient déclenchées. D’une part, le conseil d’administration de Canada Football n’avait pas approuvé correctement le contrat, ce qui, selon lui, le rendait essentiellement invalide.
« Le conseil d’administration aurait pu aller au tribunal pour déclarer qu’il existait des vices de procédure concernant ce contrat. Il n’a pas été approuvé correctement. Je ne comprends vraiment pas », a déclaré Housefather.
De plus, les termes du contrat privent Canada Football de ses revenus.
« Je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi flagrant », a-t-il ajouté.
Sébastien Lemire, député du Bloc Québécois d’Abitibi—Témiscamingue, s’est également dit choqué par la défense de Canada Football et les tentatives de dissimulation de ses finances.
« Les gens se protègent » et « essaient de masquer la vérité », a déclaré Lemire. « Il y a des vérités qui doivent émerger. La culture du sport au Canada, en particulier dans le domaine du football, est une culture d’argent et de dissimulation. »
Les joueurs de football canadiens, tant de l’équipe masculine que féminine, ont rencontré des difficultés à conclure des accords sur les salaires avec leurs équipes, malgré la popularité croissante de ce sport dans le pays.
Créée en 1912, la fédération canadienne de football compte près d’un million de membres, ce qui en fait la plus grande organisation sportive du pays.
Pour chaque inscription à une équipe locale, une part de 9 dollars est reversée à Canada Football, montant qui passera à 13 dollars cette année.
L’an dernier, Canada Football a également reçu près de 4,8 millions de dollars en subventions gouvernementales, dont une grande partie est dédiée à des programmes pour femmes et jeunes à travers le programme olympique intitulé « Own the Podium ».
Andrea Neil, ancienne capitaine de l’équipe féminine, a déclaré qu’il y avait une culture de secret au sein de Canada Football depuis longtemps.
« La plupart des gens ne réalisent pas l’ampleur de ce qui se passe », a déclaré Neil lors d’une interview. « Une partie de la raison pour laquelle les problèmes persistent est qu’il y a certains individus qui en tirent parti pour leur intérêt personnel. »
Neil et plusieurs autres affirment qu’ils ont demandé, encore et encore : « Où va l’argent ? »
En raison du manque de fonds, Neil a indiqué que l’organisation avait annulé plusieurs camps d’entraînement et matchs amicaux. Lorsque les joueurs de l’équipe nationale ont organisé une grève en 2023, les dirigeants ont affirmé que Canada Football était en danger de faillite.
« Où va exactement l’argent ? Nous ne savons pas », a déclaré Claude Mathieu, expert en financement d’entreprise et responsable du programme de crime financier à l’Université de Sherbrooke. « Il est très difficile de conclure en se basant sur les états financiers. »
Mathieu a analysé des centaines de pages des finances de Canada Football et a qualifié sa structure de « très opaque ».
Par exemple, Canada Football ne divulgue pas les salaires, compensations ou avantages de ses cadres. Il est également flou quant à l’utilisation des subventions gouvernementales qu’elle reçoit. Un source de Radio-Canada au sein du gouvernement fédéral a signalé : « Nous avons demandé un audit, comme cela avait été le cas pour Hockey Canada, car nous savions qu’il y avait un problème. »
Un audit financier est toujours en cours, selon un porte-parole du ministère du Patrimoine canadien, qui supervise les fédérations sportives.
Mathieu pense que Canada Football est « en danger » à cause de son contrat avec CSB.
L’homme derrière l’accord
Mitchell, l’homme d’affaires à la tête de CSB, dirige également Hamilton Sports Group, qui opère l’équipe de football Hamilton Tiger Cats et Forge FC, un club de football faisant partie de la Canadian Premier League, qu’il a cofondée.
Mitchell a déclaré qu’il souhaitait voir le football réussir au Canada. « Le football est un sport mondial avec un potentiel énorme dans notre pays. Cela a été clairement le cas lorsque nous avons commencé à investir et cela l’est toujours aujourd’hui », a-t-il affirmé dans une déclaration.
L’implication de Mitchell avec Canada Football est profonde. En plus de son rôle au sein de CSB, il contrôle One Football, la plateforme qui diffuse les matchs de l’équipe nationale. Il a également aidé à orchestrer un match entre le Canada et les États-Unis en janvier 2022, qui s’est tenu dans un stade à Hamilton, où Mitchell a un accord avec la ville pour utiliser le stade.
Canada Football n’a pas répondu aux questions de Radio-Canada concernant le choix du stade de Hamilton plutôt que ceux de Toronto, Vancouver, Edmonton ou le Stade olympique de Montréal, qui ont des capacités plus importantes.
Pour sa part, Mitchell croit que ses investissements contribuent à rehausser le profil du football canadien. « Nous avons investi, et continuons d’investir, d’énormes sommes de capital dans l’écosystème du football canadien », affirme-t-il, tout en accusant Radio-Canada de « méprendre fondamentalement le fonctionnement de [sa] société et ce que Canada Football Business a créé au Canada. »
Mathieu, l’expert financier, trouve “douteuse” la position de Mitchell lors des négociations avec Canada Football.
« Il se trouve des deux côtés de la barrière », a commenté Mathieu. « Lorsque l’argent des contribuables aboutit entre les mains d’une entreprise qui délègue une partie de ses activités à une firme privée, c’est un peu notre argent qui finit dans les poches de cet individu. »
Philippe-Antoine Lupien, spécialiste de l’économie du sport à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), estime qu’il est important de s’interroger sur l’équité de l’accord entre Canada Football et CSB, mais note qu’il comprend également l’intérêt commercial du football.
« C’est un marché intéressant et il semble lucratif … car au Canada, ce marché est en pleine croissance », a-t-il observé.
Canada Football affirme travailler en coulisses pour revoir son contrat avec CSB.
« Nous avons proposé de modifier [l’accord] », a déclaré Mitchell. Mais « les changements fréquents au sein de la direction » de Canada Football ont « compliqué la tâche et ont constamment constitué un obstacle à l’avancement dans cette direction. »
Canada Football a déclaré que des « progrès ont été réalisés » en ce qui concerne les « structures de gouvernance et les pratiques financières » de la fédération.
Les « anciennes pratiques », telles que l’achat de matériel électronique et de vêtements pour les membres du conseil, « n’existent plus », et les exécutifs ne prennent plus de vols en classe affaires, a ajouté l’organisation.
Début 2024, Canada Football a engagé un nouveau PDG, Kevin Blue.
Blue a désigné les joueurs des équipes nationales masculine et féminine comme « notre plus grande ressource » et s’est engagé à améliorer les finances de l’organisation.
Bon à savoir
- Le football canadien a connu une croissance substantielle ces dernières années, avec une augmentation de l’intérêt du public et des investissements financiers.
- Les principales sources de financement de Canada Football incluent des subventions gouvernementales et des frais d’inscription des membres de clubs locaux.
- Le lancement de la Canadian Premier League vise à promouvoir le développement du football à l’échelle nationale.
Ce contexte met en lumière une dynamique complexe au sein de Canada Football, où l’ambition de faire croître le football au pays se heurte à des problèmes de transparence et de gestion financière. Les bénéfices du sport devraient profiter à tous les acteurs, mais cela soulève la question : à qui profite réellement le football canadien ? Une réflexion sur l’équité dans la gestion du sport s’impose alors que les joueurs et les parties prenantes aspirent à une transformation positive.
- Source image(s) : www.cbc.ca
- Source : https://www.cbc.ca/news/canada/montreal/canada-football-finances-1.7426417
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